Milieux prairiaux/Informations de base

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Les prairies à fromental ont disparu en maints endroits, en l’espace de quelques décennies.

Sommaire

Succession et importance des milieux prairiaux

A quelques exceptions près, les milieux prairiaux ne sont pas naturels – si on cesse d’utiliser ces surfaces, la plupart d’entre elles retournent à la succession naturelle. Maag et al. (2001) montrent les processus de succession à l’œuvre sur différentes stations. Chaque étape de la succession – d’une pelouse sèche jusqu’à la forêt par exemple – a sa propre valeur sur le plan écologique ; la diversité des espèces peut être augmentée par la présence dans le voisinage de plusieurs stades de succession différents (Diacon et al. 2011). Les différents stades de l’enfrichement et de l’embroussaillement sont des zones de refuge et des réservoirs de nourriture bienvenus pour les reptiles, les araignées et de nombreux insectes. Les friches jeunes, en particulier, peuvent être extrêmement précieuses sur le plan faunistique et floristique ; à l’inverse, la diversité spécifique est menacée à long terme dans les friches permanentes (Dipner & Volkart 2010).

Les milieux prairiaux ont une grande importance à plusieurs égards, et ils rendent un large panel de services écosystémiques généraux, non spécifiques à ces milieux : production, ressources génétiques des plantes fourragères, services liés à la pollinisation, protection contre l’érosion, services culturels, stockage de carbone (Guntern et al. 2013). Les aspects esthético-paysagers de ces habitats revêtent aussi une grande importance, que ce soit en regard de leur exploitation touristique ou de leur fonction ressourçante. D’un point de vue agricole, le rôle des milieux prairiaux comme sites de production de fourrage est central. C’est bien la raison pour laquelle les prairies et pâturages se sont vus « optimiser » pour l’exploitation agricole au cours des dernières décennies. Les races à haut rendement posent des exigences élevées quant à la valeur nutritive des herbages, par exemple : dans les stades jeunes, la teneur en fibres est plus faible et la part de protéines brutes et de minéraux plus élevée. La valeur énergétique et la digestibilité du fourrage sont donc meilleures. A la lumière de ces exigences, une économie laitière à haut rendement et la conservation de milieux prairiaux riches en espèces ne sont pas compatibles (Gerowitt et al. 2011) ; les prairies intensives n’ont quasi pas de valeur sur le plan écologique, en comparaison avec les herbages riches en espèces.

Typologie des milieux prairiaux

Les milieux prairiaux peuvent être classés en sous-catégories qui reflètent les critères botaniques, écologiques ou fourragers sur lesquels on met l’accent.

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Haber (2014) subdivise les milieux prairiaux au sens large comme représenté ci-dessus.

Dietl & Grünig (dans Oppermann & Gujer 2003, p. 60), classent les prairies (de fauche) riches en espèces de Suisse en 19 types, selon leur bilan hydrique et de nutriments. Leur présentation en tableau montre les groupes et combinaisons d’espèces remarquables pour chaque type de prairies. La systématique susmentionnée a été encore développée pour les herbages fertilisés, et Bosshard (2016) distingue par conséquent neuf types de milieux prairiaux fertilisés.

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Genèse et répartition altitudinale des types de prairies fertilisées.
Source : Bosshard, A., 2016. Das Naturwiesland der Schweiz und Mitteleuropas. Mit besonderer Berücksichtigung der Fromentalwiesen und des standortgemässen Futterbaus, Bristol-Schriftenreihe Band 50. Haupt Verlag, Bern. © Andreas Bosshard

Informations supplémentaires :

Etat et évolution des milieux prairiaux de Suisse

Origine des milieux prairiaux

Les milieux prairiaux sont apparus en Europe centrale il y a 8000 ans, suite au défrichement de la forêt pour cultiver des champs. Les champs dont l’exploitation a par la suite été abandonnée se sont couverts d’herbe et ont été utilisés pour faire pâturer le bétail. On n’a aucune certitude concernant les endroits où se situaient les prairies de la Préhistoire ; Bosshard (2016) en fait une courte présentation.

Kapfer (2010a, 2010b) et Bosshard (2016) éclairent l’origine et l’histoire de l’utilisation des prairies et pâturages, et les comparent aux formes d’utilisation actuelles : durant de nombreux siècles, les prairies ont fait partie du système cultural d’assolement triennal, orienté sur la culture de céréales. La pratique des foins et des regains, associée à un apport de fumier très faible (et limité aux alentours de la ferme) et à la pâture précoce qui était habituelle en ce temps-là, ont lentement conduit à un amaigrissement des sols et à des conséquences sur la végétation. Les prairies de fauche pures se sont développées à large échelle à partir du 19e siècle seulement ; auparavant toutes les prairies étaient aussi pâturées (pâture de printemps ou d’automne). Après la pâture précoce, les foins survenaient plus tard et les plantes des prairies pouvaient terminer leur cycle, les graines ayant le temps de mûrir et de se disperser. L’utilisation principale qui est faite de nos jours des prairies maigres et des prairies à fromental, par la pratique des foins, correspond à ce qui était alors la deuxième utilisation. Autrefois, les jours saints déterminaient le début et la fin de certains travaux agricoles. Ces repères temporels étaient cependant utilisés avec une certaine souplesse, en tenant compte du déroulement de l’année, pour le début de la fauche par exemple. La récolte des parcelles s’étalait sur plusieurs semaines. Le foin était séché sur les parcelles, ce qui favorisait le succès de la reproduction sexuée (Poschlod 2011). Au fil du temps, de nouvelles méthodes de récolte, des mesures d’irrigation et, récemment, des modifications phénologiques causés par le changement climatique ont avancé le moment de la coupe des prairies (Guntern et al. 2013).

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Schéma montrant l’exploitation des trois types de prairies les plus importantes de l’ancien système d’assolement triennal (Kapfer 2010b).

Alte Herbstwiese = Vieille prairie d’automne ; Alte Heuwiese = Vieille prairie à foin ; Alte Öhmdwiese = Vieille prairie à regain ; Düngung = Fertilisation; Frühjahrsvorweide = Pâture précoce; Bannzeit = pas d’exploitation ; Heuernte = Foins ; Herbstnachweide = Pâture d’automne ; Sommernachweide = Pâture d’été ; Öhmdernte = Regains.

Source: Kapfer, A. (2010): Beitrag zur Geschichte des Grünlands Mitteleuropas im Hinblick auf den Arten- und Biotopschutz. Darstellung im Kontext der landwirtschaftlichen Bodennutzungssysteme. Dans : Naturschutz und Landschaftsplanung 42 (5), S. 133–140.


La pratique de la pâture précoce et ses effets sur le plan écologique (source : Bosshard 2015b)
La première utilisation faite habituellement des prairies de fauche était, jusqu’au 18-19e siècle, la pâture précoce. Aujourd’hui c’est, à l’inverse et surtout dans la zone de montagne, dans les prairies intensives qu’elle est encore régulièrement pratiquée. La pâture précoce a pour effet à long terme de faire diminuer la teneur en nutriments et la vigueur d’une prairie et, du fait de l’apport de lumière dans le peuplement sur une courte période, de favoriser les plantes plus sensibles des prairies riches en espèces. La phase sans exploitation, entre la pâture de printemps et l’utilisation suivante sous forme de fauche, plus longue, conduit à une pousse produisant un foin appétant et riche (car contenant beaucoup de protéines), de sorte que la pâture précoce est susceptible de présenter un grand intérêt du point de vue fourrager et économique également. La pâture superficielle, courte et ménageant la végétation, au printemps, a pour conséquences une végétation plus structurée, une floraison plus longue, une coupe des foins plus tardive, et certaines espèces (papillons diurnes, orthoptères et oiseaux nicheurs des prairies) peuvent en profiter (SHL 2008). Pour des raisons pratiques (coût logistique), la pâture précoce n’est une option que pour une minorité de surfaces d’herbages et est réalisable pour les surfaces SPB dans le cadre de projets de mise en réseau, par exemple – pour autant que les directives cantonales de mise en réseau le prévoient et le justifient.


Il faut considérer l’origine de la biodiversité des espèces dans les prairies sous cet angle historique (Poschlod 2011) : le cortège d’espèces des prairies de fauche de basse altitude, tel qu’il se présente actuellement, est probablement âgé d’au moins 300 ans ; le fromental (Arrhenaterum elatius), qui donne son nom à un type de prairies, ou Fenasse, a été introduit au début du 18e siècle, sous la forme d’un écotype du sud de la France amélioré par sélection. Il se peut que l’espèce qui donne quant à elle son nom aux prairies de fauches de montagne, à savoir l’avoine doré (Trisetum flavescens), ait, elle aussi, été introduite seulement à cette époque. Presque toutes les plantes des milieux prairiaux semblent provenir de la flore indigène (clairières forestières, bancs de gravier des zones alluviales, bordures des tourbières, par exemple). Plusieurs plantes fourragères ont été introduites (intentionnellement ou non), et il y a longtemps que l’être humain essaie d’augmenter le rendement par des semis ciblés.

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Aperçu de la genèse des types d’exploitation des herbages d’Europe centrale (Kapfer 2010b). Source: Kapfer, A. (2010): Beitrag zur Geschichte des Grünlands Mitteleuropas im Hinblick auf den Arten- und Biotopschutz. Darstellung im Kontext der landwirtschaftlichen Bodennutzungssysteme. Dans : Naturschutz und Landschaftsplanung 42 (5), S. 133–140.

Informations supplémentaires :

  • Des synthèses et des explications plus détaillées sur l’origine et l’évolution des herbages sont données par Kapfer (2010a, 2010b) (en allemand), Poschlod (2011) (en allemand) et Bosshard (2016).
  • Le Dictionnaire historique de la Suisse présente des articles sur des thèmes tels que la fumure, le fourrage, l’irrigation, les prairies et les pâturages.

Quantité et qualité – et leur évolution

Les milieux prairiaux se sont fortement modifiés au fil de l’évolution des techniques agricoles (mécanisation, apport d’engrais) et des remaniements parcellaires de ces derniers siècles – et ils continuent à le faire.

Le tableau donne un aperçu de l’étendue des habitats des milieux prairiaux de Suisse et du changement quantitatif qu’ils connaissent. Source : « Guntern et al. (2013) : Flächenbedarf für die Erhaltung der Biodiversität und der Ökosystemleistungen in der Schweiz », S. 96. D’autres milieux prairiaux se trouvent dans les agglomérations.
SAU = Surface agricole utile, ZE = zone d’estivage

Habitat Date Extension [ha] Remarques, source
Prairies et pâturages sur la SAU (sans ZE, ni prairies artificielles), dont :

- Prairies SCE extensives
- Prairies SCE peu intensives

2011 610’732


66‘056
22‘919
(OFAG 2012)

Présentant la qualité OQE :
- Pâturages, pâturages boisés : 5384 ha
- Prairies (y. c. surfaces à litière) : 28'864 ha

Zone d’estivage (ZE) 1 2011 505'385 (12% de la Suisse) Selon (Walter et al. 2013)
Prairies et pâturages secs (PPS) 1900 760‘000 (bis 900‘000) (Eggenberg et al. 2001 ; Lachat et al. 2010b), disparition de 90 à 99% des surfaces de PPS régionalement, et de 95% en Suisse 2
2010 37‘011
Milieux prairiaux potentiellement précieux sur la SAU ou en ZE (sans PPS ni marais)

Modèle basé sur la déclivité et l’altitude des sites à espèces cibles et caractéristiques.

2012
Total :
ZP :
ZC :
ZMI :
ZMII :
ZMII :
ZMIV :
ZE :
[ha]
231’688
3797
354
2'023
6943
9223
10'984
198'364
[%]

0.78
0.25
1.71
4.52
11.06
22.72
39.25
(Walter et al. 2013)

ZP = zone de plaine
ZC = zone de colline
ZM = zone de montagne

Les milieux prairiaux forment quasi 100% de la ZE et de la SAU dans les ZM IV et ZM III.
Prairies à fromental sur la SAU 1950 Presque tout PPS, pâturages permanents, prés à litières, champs (Bosshard & Stähli 2012) : indications plus précises en cours d’élaboration pour le rapport final de l’étude en cours.
2011 3-8% Bosshard & Stähli 2012), dont env. 20% avec cortège d’espèces des prairies à fromental intensives des années 1950 et max 5% de bonne qualité (comm. pers. A. Bosshard)


->Recul supposé de > 90% et presque 100% pour les peuplements riches en espèces (Bosshard 1998)

1 Selon la statistique de la superficie, la surface des alpages a diminué de 3.2% entre 1979/85 et 1992/97, passant de 555662 à 537802 ha. Le déclin s’est poursuivi jusqu’en 2004/9 (résultats provisoires).
2 Baisse estimée de 25-30% entre 1995 et 2005 (Leibundgut 2007 cité dans Graf & Korner 2011). Ces ordres de grandeur sont confirmés en Valais et en Engadine par des études de cas.


Une comparaison avec la situation en Allemagne montre que la part de la surface totale utilisée comme herbages est similaire à celle de Suisse (zone de plaine) : 13% en Allemagne contre 14.7% en Suisse, dont la majeure partie fait l’objet d’une exploitation intensive (Boch et al. 2016).

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La répartition de la surface agricole utile dans les différentes catégories d’utilisation en Suisse. Source : OFS 2018, La Suisse en 21 infographies.

Entre 1990 et 2009, la superficie des herbages a diminué de 875000 ha en Allemagne. Entre 2003 et 2012, la perte nette des prairies permanentes se monte à environ 5%. En Suisse, les surfaces agricoles et celles d’alpage représentent ensemble plus d’un tiers de la superficie totale ; entre 1985 et 2009, 85000 ha d’entre elles ont disparu, ce qui correspond à la surface du canton du Jura (OFS 2018). Les prairies à fromental – le type de prairies le plus fréquent et le plus productif sur les bons sols de plaine en Europe centrale jusqu’au milieu du siècle dernier – ont disparu en maints endroits, en l’espace de quelques décennies. Cette évolution est allée de pair avec une péjoration de leur qualité : une comparaison de 1950 et 2009 montre que les prairies autrefois qualifiées d’« intensives » présentaient en général un niveau de qualité QII, alors que les prairies à fromental encore existantes aujourd’hui n’atteignent que le tiers de ces exigences qualitatives (« Fromentalwiesenprojekt » (projet prairies à fromental), Bosshard 2016). En ce qui concerne les habitats particulièrement précieux, la surface des prairies et pâturages secs a reculé de 95% entre 1900 et 2010.

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Diminution des prairies riches en espèces du canton de Zurich.


Fläche = Surface, Artenreiche Fettwiesen = Prairies grasses riches en espèces, Mager- und Trockenwiesen = Prairies maigres et prairies sèches, Landwirtschaftliche Nutzflächen = Surface agricole utile

Source : Baudirektion Kanton Zürich (2008), Umweltbericht 2008.

Dans les zones de montagne de Suisse, l’évolution des cultures fourragères et des prairies et pâturages a pris une autre direction que sur le Plateau : les sites difficiles à exploiter car escarpés ou peu accessibles, et souvent parsemés de nombreuses microstructures, ont été de plus en plus utilisés comme pâturages ou alors leur exploitation a carrément été abandonnée – une grande partie d’entre eux s’étant par conséquent embroussaillée ou étant retournée à la forêt. Lors des 150 dernières années, la surface forestière a connu, selon les régions, une augmentation de 30 à 100% au détriment des prairies et pâturages. La majorité des herbages riches en espèces de Suisse se trouve aujourd’hui dans ces sites difficiles, à partir de la zone de montagne I ; leur part est particulièrement élevée dans la zone d’estivage. Elles continuent toutefois de disparaître sous l’effet tant de la déprise que de l’intensification agricoles (Bosshard 2016).

La part de SPB de niveau de qualité II ne cesse d’augmenter ; l’objectif de 40% a été atteint pour la première fois en 2007. En plaine, leur proportion reste cependant encore basse, avec 28% (OFAG 2018). Depuis 2014, il existe aussi des contributions pour les surfaces herbagères et les surfaces à litière riches en espèces dans la zone d’estivage ; la part de ces surfaces présentant le niveau de qualité II se montait en 2017 à 217496 ha.

Parts de surfaces SPB avec niveau de qualité II (en ha) (source : rapport agricole OFAG 2019)
Type de SPB QII Zone de plaine Zone de collines Zone de montagne Total
Prairies extensives 11495 7395 17411 36301
Prairies peu intensives 130 411 3220 3761
Pâturages extensifs et pâturages boisés 1468 2830 14759 19057
Surfaces herbagères et surfaces à litière riches en espèces dans la zone d’estivage 223509
Entwicklung BFF Q2 2001 2016 fr.png
Evolution (en ha) des prairies et pâturages riches en espèces (inscrits comme SPB de qualité II) entre 2001 et 2016 (source : données OFAG).

Les changements qualitatifs que connaissent les prairies et pâturages concernent le niveau général de nutriments, qui a énormément augmenté, et la disparition de la mosaïque, autrefois étendue, de surfaces diversement utilisées (Schmid et al. 2007). Bosshard (2016) décrit d’autres changements qualitatifs intervenus durant le dernier siècle : l’intensité de l’exploitation a été décuplée : fauche plus précoce, fréquence d’utilisation beaucoup plus élevée et utilisation simultanée de parcelles beaucoup plus grandes. Les rendements ont augmenté de 60 à 80%. Les microstructures et les éléments du paysage cultivé ont disparu. Les machines lourdes provoquent le compactage du sol, problématique, et les méthodes de récolte destructives, en particulier pour la faune, se répandent – sous la forme de faucheuses rotatives, de conditionneuses, d’ensilage. Aujourd’hui, on privilégie l’utilisation de lisier (purin), qui fournit des éléments nutritifs rapidement disponibles, au lieu du fumier solide autrefois habituel ; l’ensilage se substitue au fourrage sec (foin), ce qui a avancé la date d’utilisation de la première pousse ; un plus grand nombre d’utilisations annuelles est possible, la récolte se fait plus vite et les plantes ont moins de temps pour grainer. Les améliorations foncières, les remaniements pour regrouper les parcelles et la disparition des limites extensives de parcelles ont également de grands impacts. L’automatisation à venir de l’exploitation est une prochaine étape. Pro Natura montre clairement des exemples de transformation de prairies autrefois riches en espèces en prairies grasses pauvres en espèces sur sa page.

Les impacts écologiques des changements décrits ci-dessus sont multiples – en voici quelques exemples : l’intensification de la culture des herbages et les dates de fauche plus précoces conduisent à une diminution du stock grainier dans le sol (Klimkowska et al. 2007). Ces mêmes dates de fauches plus précoces provoquent un chevauchement avec la saison de reproduction des oiseaux qui nichent au sol ; les nids sont détruits mécaniquement lors de la fauche, ou deviennent plus accessible aux prédateurs, ou encore l’offre alimentaire est décimée durant une phase critique de l’élevage des jeunes (Britschgi et al. 2006). Les surfaces individuelles tout comme la surface totale des prairies de grande valeur écologique sont trop petites et trop fragmentées. Les petites parcelles prairiales sont particulièrement sensibles aux effets de bordure, négatifs (pénétration d’autres espèces par exemple) et à la dérive écologique. La taille moyenne des PPS d’importance nationale est aujourd’hui de 4.7 ha et de 10.5 ha dans la zone d’estivage (Guntern et al. 2013) : une recolonisation par les papillons diurnes, les bourdons et les reptiles est possible lorsque les parcelles ne sont pas éloignées de plus de 1 à 3 km. Les orthoptères et carabes caractéristiques, par contre, ne franchissent que rarement une distance supérieure à 100 m.

Apport de nutriment dans les milieux prairiaux
L’azote est un élément constitutif de tous les êtres vivants ; les plantes l’absorbent par leurs racines sous forme d’ammonium ou de nitrate. L’azote assimilable par les plantes est, dans les situations naturelles, une denrée rare dans la plupart des sols. Au cours des dernières décennies cependant, d’énormes quantités de composés azotés ont atterri dans les sols, sous forme d’engrais minéraux, de lisier ou par des processus de combustion – directement, ou indirectement par voie aérienne. L’apport naturel d’azote atmosphérique biologiquement actif n’est que de 0.5 à 2 kg/ha. Ce sont aujourd’hui 16 kg/ha en moyenne qui finissent dans le sol, ce qui correspond à la quantité épandue sur des prairies mi-intensives. Peter (2011) indique que, pour trois des quatre formes d’azote qui affectent l’environnement (ammoniaque, nitrate et oxyde nitreux), l’agriculture est la principale émettrice au niveau suisse. Il faudrait ainsi réduire de moitié les émissions d’ammoniaque provenant de l’agriculture pour éviter un effet substantiellement nocif sur les écosystèmes sensibles. Pour les prairies riches en espèces (étages collinéen et montagnard), la valeur-seuil critique est de 10 à 30 kg N par hectare et par an (Guntern 2016a). Ce sont donc 49% des prairies sèches qui sont ainsi concernées par les effets négatifs des apports d’azote atmosphérique, par exemple ; les valeurs-seuils critiques (critical loads) sont massivement dépassées dans de nombreux habitats (OFEV 2017). Ces apports ont pour conséquence l’acidification du sol, un fort déclin de la diversité végétale et la domination d’un petit nombre d’espèces de graminées ; ils sont co-responsables d’un appauvrissement extrême des espèces dans les milieux prairiaux, en particulier en plaine (Bosshard 2016). La végétation actuelle y est plus vigoureuse et plus dense que celle d’autrefois.

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Le bilan azoté des surfaces agricoles (alpages inclus) montre certes un excédent qui diminue dans une perspective à long terme, mais malgré cela, on comptait en 2015 un excédent de 60 kg/ha (années 1990 > 80 kg/ha). Source : agriculture et alimentation, Statistique de poche OFS 2018).

Le phosphore est lui aussi un élément essentiel des plantes, et il est employé comme engrais dans l’agriculture. L’excédent de phosphore des dix dernières années se monte à 400 t/an.

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Bilan de phosphore des surfaces agricoles. Quantités de phosphore entrantes et sortantes des sols agricoles.

Dans les herbages intensifs, on observe en outre une augmentation des apports de zinc et de cuivre, qui proviennent des engrais de ferme (purin et fumier) resp. de l’alimentation des animaux (Gubler et al. 2015). En raison de l’intensité d’exploitation élevée, on peut s’attendre à ce que la vie du sol soit perturbée aussi dans les milieux prairiaux.

Informations supplémentaires :

Etat et évolution des biocénoses des milieux prairiaux

Une étude comparative menée par Schlup et al. (2013) a trouvé un plus grand nombre d’espèces de plantes vasculaires dans les milieux prairiaux extensifs (pâturage à crételle, prairie à fromental, prairie à avoine doré et pelouse mi-sèche) que dans les herbages moyens de Suisse. De plus, les herbages extensifs abritaient un nombre nettement plus élevé d’espèces indicatrices, d’espèces caractéristiques et d’espèces menacées. Les espèces spécialisées des milieux prairiaux subissent une pression de plus en plus forte des espèces généralistes et une uniformisation se produit.

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Le tableau montre l’importance des habitats de valeur pour la conservation de nombreux groupes d’animaux.

On voit qu’une part considérable des espèces est fortement liée aux prairies et pâturages secs. La perte et la dégradation des habitats ont une influence négative sur la biodiversité dans les milieux prairiaux, comme le montre la représentation suivante, tirée du monitoring de la biodiversité en Suisse (OFEV) :

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Diversité des biocénoses dans les prairies et les pâturages - Indice* de 0 (biocénose uniforme) à 100 (biocénose variée), basé sur la comparaison par paires de toutes les surfaces d’un échantillon, en %. * Moyenne sur cinq ans. Source : OFEV : Monitoring de la biodiversité en Suisse (MBD) 2018

La diversité spécifique a globalement reculé depuis le milieu des années 2000 et indique une uniformisation des prairies et pâturages à l’échelle de toute la Suisse, ce qui équivaut à une perte de biodiversité. Cependant, la perte de biocénoses dans ces habitats est déjà enclenchée depuis au moins quelques décennies : la diversité spécifique végétale de 81 prairies a été presque divisée par deux au cours des 120 dernières années (Schlup et al. 2013). On constate de façon générale que ce sont surtout les espèces fréquentes, qui n’ont pas d’exigences particulières quant à leur habitat, qui augmentent. Les espèces spécialisées des milieux prairiaux subissent une pression de plus en plus forte de la part des espèces généralistes, ce qui conduit à une uniformisation des prairies et pâturages.

La plupart des oiseaux qui nichent dans les champs, les prairies et les pâturages sont en déclin du fait de la forte intensité de l’exploitation agricole : l’indice suisse pour les oiseaux nicheurs typiques des milieux cultivés (46 espèces OEA) a diminué de presque 30% depuis 1990, et l’indice européen des oiseaux agraires de plus de 50% (OFAG 2017, Becker et al. 2014). L’image bucolique de la montagne en prend aussi un coup : une comparaison à long terme réalisée par la Station ornithologique montre que la part de prairies peu intensives et riches en espèces est tombée en Engadine de 32 à 27% en 22 ans, et que les effectifs nicheurs de l’Alouette des champs, du Pipit des arbres et du Tarier des prés ont chuté de 44-61% (Korner et al. 2017). La baisse de l’offre en nectar et en fleurs retire leurs bases alimentaires aux insectes butineurs. Wesche et al. (2014) ont constaté une chute dramatique du nombre d’individus (>60%) chez les orthoptères et les punaises des marais et des prairies sèches en 50 ans, alors que les nombres d’espèces sont soit stables soit en augmentation. La composition botanique des prairies à fromental montre une diminution moyenne du nombre d’espèces de 30% par rapport aux années 1950, avec une sensible réduction de la qualité en parallèle (Bosshard 2015c).

Le programme de monitoring ALL-EMA examine dans le paysage cultivé ouvert de Suisse la situation des espèces et des habitats faisant partie des objectifs environnementaux pour l’agriculture, ainsi que les changements qu’ils subissent, et évalue les surfaces de promotion de la biodiversité. Une première analyse complète de l’état de la biodiversité est prévue pour 2020.

Informations supplémentaires :

Menaces

43% des types d’habitats réunis sous le terme de « milieux prairiaux » sont considérés comme menacés. Les surfaces les plus précieuses des prairies et pâturages secs (PPS) sont décrites dans un inventaire – 95% des PPS de Suisse ont disparu depuis 1900.

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Répartition des 30 types d’habitats des milieux prairiaux dans la Liste rouge des habitats de Suisse.

Les causes de menaces et les facteurs principaux sont (Delarze et al. 2015, Bosshard 2016, Becker et al. 2014) :

  • La disparition des habitats des milieux prairiaux : due à l’abandon de l’exploitation dans les sites difficiles et à la succession qui s’ensuit, à la conversion des milieux prairiaux en champs ou prairies artificielles, et à l’urbanisation et la construction de routes. Cette perte a pour conséquence que les habitats restants sont souvent trop petits et/ou menacés d’isolement. Il peut s’écouler des décennies entre la fragmentation ou les effets de bordure et la disparition des espèces. Des surfaces moyennement précieuses disparaissent dans la zone d’estivage. L’instrument des SPB actuel ne donne pas de prescriptions concernant les critères d’exploitation dans la zone d’estivage. Certains indices semblent montrer que l’inventaire des PPS est incomplet. Des surfaces précieuses risquent de disparaître à cause d’une intensification, d’une exploitation inadéquate ou d’un abandon de l’exploitation.
  • L’intensification, une exploitation moderne ou inadéquate, ainsi que les apports d’engrais : le changement structurel que connaît l’agriculture et l’intensification qui y est liée exercent divers effets sur les milieux prairiaux. La fertilisation et les compléments alimentaires administrés au bétail multiplient les apports d’engrais et eutrophisent le sol. De nombreuses espèces des herbages sont prétéritées par la fumure, les plantes à fleurs tout particulièrement, ce qui entraîne une baisse de la diversité des espèces ; grâce à ces nutriments supplémentaires, un petit nombre d’espèces poussent vite, forment rapidement une biomasse importante, et font de l’ombre au sol, au détriment de la croissance des autres plantes (Gerowitt et al. 2013). L’intensification comprend en outre l’utilisation plus précoce de la végétation pour obtenir une meilleure qualité de fourrage (pour les vaches laitières à haut rendement) ; une puissance générale d’exploitation plus élevée (avec machines lourdes) ; des utilisations plus fréquentes ; l’usage de pesticides ; les remaniements parcellaires ; la disparition des structures ; ainsi que les techniques de culture visant à drainer, chauler ou irriguer les parcelles. De plus, les parcelles sont nivelées ou passées au girobroyeur. Le fait que les dates de fauche soient fixées à l’avance rendent le paysage monotone et font disparaître les sources de nourriture toutes en même temps. Tous ces facteurs ainsi que l’abandon de certaines formes d’utilisation conduisent à une uniformisation des habitats.
  • Le changement climatique est un facteur significatif de la transformation subie par la biodiversité et les écosystèmes (Guntern 2016b), en particulier l’augmentation de la température et les changements du régime hydrique. Les températures plus élevées et les précipitations plus nombreuses conduisent, dans des conditions d’humidification du sol régulières, à une croissance de plus en plus rapide des herbages. Les résultats du monitoring de la biodiversité indiquent que certains habitats du Plateau deviennent plus chauds d’une part, et plus secs d’autre part (BDM-Facts N° 4, OFEV 2012).
  • Les espèces invasives exogènes peuvent aussi avoir un impact négatif sur la biodiversité. Jusqu’à maintenant, les espèces suivantes surtout posent des problèmes à large échelle dans les prairies extensives : la Vergerette annuelle (Erigeron annuus), les deux solidages (Solidago canadensis et S. serotina, surtout dans les prairies humides ou à humidité variable sous-utilisées ou fauchées tardivement) ainsi que le Séneçon sud-africain (Senecio inaequidens). D’autres néophytes à potentiel invasif figurent sur la Watch List des néophytes. La (remarquable) résistance contre les espèces nouvellement introduites semble être une caractéristique des prairies d’Europe centrale (Bosshard 2016).
  • Selon le type d’habitat et l’endroit, les activités de loisirs et l’usage récréatif des prairies et pâturages peuvent aussi constituer une menace. En Allemagne, les cultures énergétiques (production de biogas, colza pour la production de carburant) et l’agrivoltaïque sont aussi des facteurs de risques possibles.
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Les machines à récolter tuent et blessent de nombreux animaux.

Quelques facteurs menaçant les milieux prairiaux sont exposés plus en détail ci-dessous.

Sous-utilisation et abandon de l’exploitation :
L’exploitation extensive devient de moins en moins rentable dans les régions où les conditions de production sont défavorables (déclivité, structure du sol). Depuis 30 ans, on assiste dans l’espace alpin à un changement des formes d’exploitation, qui vont toutes vers une diminution de l’exploitation : on passe de la fauche à la pâture, et de la pâture au retour à la friche (PNR 48 2007). La sous-exploitation ou son abandon complet mènent à court terme à des phénomènes de friche, à moyen terme à l’embroussaillement et au reboisement. Lorsque la biomasse n’est pas exportée, la lumière vient de plus en plus à manquer au cours de l’année, surtout pour la couche dense proche du sol, en raison d’un feutrage de l’herbe sèche. Les espèces rares et menacées sont justement souvent celles qui disparaissent en premier et qui sont remplacées par des espèces généralistes, avant que les ligneux ne colonisent la surface (Bosshard 2016). Dans les cas favorables, on peut déjà faire face à une forêt là où s’étendait une prairie ou un pâturage maigre seulement 20 ans auparavant. Dans les herbages très maigres cependant, l’abandon de l’exploitation et la transformation en friche ne mènent pas à la disparition d’espèces car la vigueur de la végétation n’est pas suffisante pour former un feutrage, ou celui-ci ne perdure pas (emporté par le vent p. ex.). Le reboisement naturel sur les sites difficiles est interprété comme l’expression d’un changement sociétal et économique de fond, dans lequel le recul de la pauvreté et l’augmentation de la prospérité jouent un grand rôle (PNR 48 2007). Les travaux d’entretien sont aussi menacés par la disponibilité des forces de travail qui diminue : pour garantir sur le plus long terme possible la productivité du biotope cultivé, des travaux d’entretien – tels que le nettoyage de printemps, une fauche précise, l’exportation du produit de la coupe, etc. – sont nécessaires pour assurer un lit de germination adéquat et la présence de sites propices.

Girobroyage :
Les girobroyeurs réduisent les cailloux et les rochers en miettes, écrasent et cassent le sol, éliminent les microstructures et les inégalités de terrain. Cette destruction irréversible de la végétation naturelle et de la diversité microstructurelle est coresponsable, entre autres, de la disparition du Pipit des arbres, et de l’Alouette des champs de leurs zones de reproduction jurassiennes. On a fait un large emploi des girobroyeurs dans le Jura depuis les années 1990 pour éliminer les microstructures – précieuses – et aplanir les surfaces dans leur ensemble. La situation légale diffère selon les cantons (SO, JU et VD interdit, NE et BE en partie autorisé) et, malgré l’interdiction, des cas non autorisés sont connus (Apolloni et al. 2017). Les girobroyeurs sont aussi employés régulièrement dans les Alpes, en altitude. Ils constituent une menace si important pour la biodiversité qu’ils devraient être interdits.

Informations supplémentaires :

Bases légales

Ce qu’on ignore encore pour la pratique

Les thèmes qui accusent – au moins en partie – des lacunes dans nos connaissances sont les suivants :

  • Présence et répartition des surfaces herbagères précieuses sur le plan écologique dans la zone d’estivage, inventaire couvrant toute la superficie
  • Il manque les bases scientifiques concernant les besoins en fumure des prairies à fromental et des prairies à avoine doré en regard de leur diversité botanique ; des essais pratiques sont souhaitables.
  • On n’a quasi pas d’expérience avec la pâture précoce en lien avec la promotion de la biodiversité dans les prairies riches en espèces ; des suivis planifiés à un échelon supérieur sont souhaitables.
  • Dates de fauche basée sur la phénologie
  • Influence de l’utilisation de souffleurs sur la biodiversité, en particulier sur la faune (Richner et al. 2014 éclairent l’influence sur la végétation)
  • Etudier les effets sur la faune de tous les outils de fauche et de conditionnement dans des conditions comparables. Comportement des populations sur des prairies à coupes multiples durant l’année.
  • Données sur l’ampleur et la répartition du compactage des sols.

Littérature

Les publications au sujet des milieux prairiaux sont très nombreuses. Nous mettons à votre disposition la liste complète de la littérature utilisée.

Autres chapitres sur les milieux prairiaux

Auteures

Texte Karin Loeffel faunatur
Review Andreas Bosshard Ö+L GmbH
Jean-Yves Humbert Universität Bern, Conservation Biology
Heiri Schiess
André Stapfer
Markus Staub Projekte Ökologie Landwirtschaft
Gaby Volkart atena
Traduction Sandrine Seidel Filoplume Traduction